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LOUIS ZUKOFSKY

UNE ÈRE À TOUT MOMENT DE L’ANNÉE

A – 22

 

Tard tard bien plus tard
houle de mer bouillante fusion
île de lave hors des glaces
sol vu en couleur jour
et nuit : sonore, jadis muette
la terre idéale du temps
ce bel amour s’oublie ensuite.
La grande Histoire est vide
des noms sans pertinence et
va au-devant des chemins :
voici alors la petite terre
sous le regard des cieux
espace déroulé où les oiseaux
rassemblés en vol se cachent
pour la saint-valentin : petit
cheval peux-tu parler on
ne saura pas avant la parole :
trois bouleaux dans le pré
se touchent : de grâce continuez
bonté persévérance sans prophètes
ni glose : plus ancienne la
montagne plus basse la vase
des mers et la fine croûte
terrestre résiste moins, épaissie
rejetée très haut ; pierre, le temps
du corail appelle celui de
la chitine – temps des mots
une voix se retient, ordonne,
ce qui est éternel est
vivant, un arbre pousse
l’ombre réelle d’un corps se
dresse en pleine lumière.
Figurez-vous 135 000 ans
sur 25 mètres de haut la côte
issue du flux de la mer —
soulèvement sédiment ou reflux
courants froids au sud, plus chauds au nord :
oubliez le ganoïde fossile
ou le singe qui tombe de la branche
du mérou – brèche – tumulus, crâne, pêche.
Grotte, moraine – dans la mousse
strates de tourbe, gisent des troncs d’arbres, pin
rouge dit sylvestre, au-dessus chênes
ou hêtres ; plus haut – noisetier, aulne,
bouleau en contrebas, des trembles un peu partout.
Les regards de l’été traversent les frontières vers
les montagnes un vieux sage voit
plus loin, pensant à une pensée
qui n’est pas sa pensée, vieille complexité :
l’état fractionnaire des annales,
un os d’oiseau porte-bonheur
incrusté de plumes et de duvet, à côté
d’un crâne humain dont les dendrites cristallisées
ne suffisent pas à évaluer l’ancienneté
– seul l’invariable temps archaïque ne varie pas :
loess éolien, glacier charriant des moutons gris
drift broyé, érodé, bouleversé —
lit d’argile bleue concentrique – sable
blanc, jaune, glaise rubannée – bleu
feuilletage. Marne feuilletée – le mouvant
ne se change qu’en lui-même, la preuve :
pêche en fleur, cerise en fleur, cornouiller :
voir la fleur en graine ; mariage constant
des spores sans fleurs. Les espèces perdurent
plus lentement que les langues qui disent inconsciemment
l’habileté des abeilles dans
la ruche, les passions animales faites
humaines, comme sentiments individuels :
une fois créé le Moment (une pensée)
ou par la suite une pensée de la marne
fossilifère d’où s’échappent cicadelle, coccinelle,
ver luisant, vanesse – mélange issu de
la vase du lac, pierre sans âge, corne,
os, jade, brassard en fil de cuivre, lin
tressé et non tissé – pomme, framboise, graines
de mûrier carbonisées, pulpe de prune sauvage, mais nul
bois de cervidés, les restes d’un grand chien sauvage,
un poney sylvestre, une brique brûlée, et de petites
formes rondes – fossiles de la craie blanche – qui auraient pu
faire un collier dont le lien se serait rompu.
Les défunts célestes rayonnants vifs
demeurent sous terre et sustentés
par la racine du pommier de mai,
ne reviendront pour avoir faim, leurs enfants
seront approchés en douceur par les vers luisants avant
que les étoiles ne franchissent les mers, ne vacillent sur les terres :
nord sud est ouest déboussolés
soleil seul immuable vent et
vague proue à la dérive retour au port
premiers marins pas d’autre monde
leur terre est une île ou bien
la côte étroite l’atoll enserre la mer —
perdu au milieu des eaux, découvert par hasard
(grâce à la migration marine des chauves-souris)
émergeant de l’eau, inconnu – histoire
de la carte céleste en peau tannée, pour aider le père.
C’est curieux, quand ils pêchent
certains saluent poissons et fruits de mer
d’autres comptent un deux beaucoup
ou bien cachent un pardon dans la phrase
surtout ne pas y penser
choses à ne pas nommer selon leur médecine :
le froid sans feu rend les oies stériles —
s’éloigner d’une terre dévastée par chacals ou coyotes.
Saison chaude, la crête bleue se déchire —

 

 

« A – 22,

UNE ÈRE À
TOUT MOMENT
DE L’ANNÉE »

Traduction de François Dominique et Serge Gavronsky

 

Inédit