UN GRAND COMMENCEMENT MÈNERA À TOUT
Jean-Jacques Viton
Pour Liliane les 15 premiers huitains + 1 quatrain d’un livre qu’il me reste à écrire...
la beauté est une flèche lente et précaire
sur des façades mornes tous feux voilés
sous des toitures remplies de réflexions
les limites reculent et le présent avance
le monde respire dans les exemples sus
il n’y a qu’une action la lumière seule
le noir de la mer donne naissance à une
vague d’un gris bleu allant vers le large
ce que l’on dit ne s’adresse à personne
on ne trouve que du rouge et du vert on
ne trouve là que du feu et de l’eau le
moulin fumait comme la cheminée d’un
vapeur maintenant c’était la tour entière
qui s’effondrait se rompit s’écroula sur
le chemin et explosa au contact du sol en
crachant des boules de feu des braises et
des morceaux de bois rougeoyants ils
dévalent les pentes poussent leur chute
vers un vieux monde d’herbes au même
moment une mouette traverse l’histoire
au centre d’un gigantesque vide elle est
si haute que sa blancheur ordinaire est
devenue obscure c’est son ombre propre
qui garde sous l’aile un courrier interdit
agitation particulière d’excitation ou d’
appréhension sensation spéciale où la
langue renaît à son détour de phrase le
blanc dit l’arbre est fête de feuillage le
noir dit c’est un gibet où on lynche la
ville va reconquérir le premier rang le
principal c’est l’enthousiasme et la joie
rassuré avec elle comme sur la frontière
un grand commencement mènera à tout
cette prose n’est plus la nôtre la prenne
qui la voudra pour son commencement
il faudra attendre peut-être le printemps
espérer contre toute espérance avoir foi
elle aimait joie euphorie et vin de la vie
maintenant me dissimuler à moi-même
mon effroi devant mort vieillesse et vie
des envies de danser certains jours pas
d’état psychologique des envies seules
alors qu’on chuchotait des ragots sales
quelques minces syllabes adhésives et
ceci est mon corps ceci est mon sang ah
bon ! on commence par les deux éteints
il se sentit soulagé en retournant au vélo
bien assez de rouge et de vert sur blanc
en principe les nymphéas s’ouvrent tôt
le racisme social étudie couleur de peau
le récit est une sonate de voix qui disent
des bougres d’arbres occupent le terrain
en guenilles de brume précision du texte
c’est une strie d’avion qui passe un désir
ajouter bonne année pour le singe de feu
la ligne de présence le supplément d’âme
ça suffisait désolation non distance de récit
mêler comédie tragédie ne jamais oublier la
science et son art sacré de la terreur le sel
plus que le saké remet les comptes en place
la nuit si tu as peur n’écoute pas ton cœur
le corps qui l’abrite va bientôt disparaître
le temps qui le compte va bientôt s’annuler
cette chose qui aura lieu laissera des traces
maintenant c’est un taxi qui conduit au bord
des quais on regarde le temps gris qui couvre
fête des flâneurs dont on ne saura s’ils sont là
pour affronter la solitude en comptant sur une
rencontre inconnue subite qui les aiderait bien
à traverser la nuit épaisse qui déjà est en route
toute la fin du trajet faut-il rouler ou tuber ici
parmi la population clairsemée et murmurante
passons à ceux qui n’ont qu’une idée fixe et là
manière de gommer les anonymes traîneurs et
présenter une présence neuve hors le rouge du
sang hors les djihadistes et les départs connus
le soleil n’est pas couché est devenu plus bas
il commence à faire froid l’absence encercle
une petite motocyclette passe en bégayant bas
faudrait suturer certaines phrases ou périodes
les brèves corrections comptent un même laps
de travail que l’écriture d’un texte en cours
retour à la paix amnésie complète gros espace
alors on se décide sous l’emprise de la crainte
à continuer comme si rien n’avait pu survenir
pas de réponse faisant réponse à l’énigme on
répond à l’énigme par une autre énigme voilà
une crise de temps en temps ne peut pas nuire
le pouls d’un pays est l’art qui le caractérise
malgré les loups les élevages vont mal par ici
un récit sans pilier peut être oublié des piliers
il chute en poème de langue morte ou de pierre
servent à contenir et entourer le récit sans eux
tombant des lèvres de statue lutte journalière
n’est qu’une pose théâtrale je suis à demi-
méprisable je n’ai pas avoué le fatal secret ce
qui est écrit dans le journal est vraisemblable
pas né d’une pierre pas jeté dans l’eau calme
la longue pièce blanche devient parfois jardin
pour nous dans un monde plus large que nous
voler l’âme poème en langue morte de pierre
nous à portée de voix écoutée cave du cœur
la pensée qui traite toujours d’objets absents
le chant de la mer qui remplit la nuit sereine
le pouls d’un pays se prend par l’art allons
nous coucher paisiblement les corbeaux et
les pigeons sont en route pour la nuit il faut
écouter pour s’introduire dans l’intimité et
l’accomplir est sur le terrain de la présence
hors du temps connu ne nous réveillons pas
j’arrêterai de hâter les fantômes ils ignorent
où trouver les anthropoïdes de millions d’ans
sauvez-nous de ceux qui traquent sans cesse
courlis qui gémissent ou mouettes plaintives
et prêtres croix en main avec crainte et dégoût
dans le regard sombre entourés d’enfants
en premier temps blocage idéologique
dépénalisation de l’immobilisme politique
quelque part les cloches sonnaient pour la fête
le désert étendu comme une barrière avec au
centre un lac salé sec très blanc turquoise et
apparition de céramique entre maisons ocres
il alla jusqu’au grill piétinant les feuilles mortes
qu’un vent froid semait partout et prit un café
Une version de ce poème a été publiée sous le titre «Le sel plus que le saké remet les comptes en place» dans la revue faire part 36/37.
Liliane Giraudon, Une creative method accidentée.