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XAVIER LETON : Matonge – Belgique/Congo Kinshasa

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Chéri Samba - Porte de Namur, Matonge, Bruxelles

Situation géographique improbable, Matonge est un quartier populaire d’Ixelles, au nord de la commune de Kalamu en Belgique.
Situé à proximité du quartier Victoire, il est l’un des principaux lieux de la vie nocturne bruxelloise, rassemblant bars et restaurants, coiffeurs, couturières, épiceries, ambianceurs, des personnes élégantes appelées sapeurs, etc.

 

Il s’agit d’une émanation, d’une greffe hostile et riche de rejets. Un rejet qui prend racine dans le tronc qui l’accueille.
Aux abords de l’Avenue Louise, ce quartier est situé sur l’ancien Camp Renkin, du nom du premier ministre des colonies belges. Mr Renkin savait qu’après le cuivre, le sous-sol de l’actuelle République démocratique du Congo, était gorgé de diamants.
Matonge est l’image de cet « Eden » économique et colonial que la première guerre mondiale viendra annihiler ; dès lors il sera impossible d’ignorer le « Pandémonium » que Léopold II fit de ce pays.

 

Certains verront aujourd’hui, dans ce quartier d’Ixelles, l’ombre d’une main colonialiste tentant de récupérer Matonge au Congo et de l’inscrire au sein des ors nostalgiques du pouvoir belge. Mais, cher lecteur averti, toi que je sais cultivé et hanté par le colonialisme, tu peux affirmer que l’existence de l’histoire coloniale de la Belgique commence avec la naissance du pouvoir monarchique d’une démocratie censitaire que je n’encenserai pas ici. Mais à peine te souviens-tu de Jules Renkin, ce ministre des colonies, qui prenait en mains ceux à qui le roi Léopold II les avait coupées, que déjà je te plonge dans la saturation d’une situation spatio-temporelle impensable. Tu pourras toujours argumenter sur l’incohérence de cette topographie, soucieux de faire valoir qu’il s’agit de confusions. Et pourtant, les deux espaces de Matonge ne forment, l’un et l’autre, qu’une greffe ; elle plante ses racines sur le pied auquel elle aurait dû se mêler et dont elle ne fait que de se nourrir par besoin, par faim.

Je te propose une forme où prédomine l’absence de déshérence. Il s’agit ici de décohérence du pouvoir. Lorsque nous portons une mesure à propos de ces espaces, nous tentons de les appréhender par le carroyage. C’est-à-dire que nous entreprenons l’expérience de reproduire les dessins que tu faisais, enfant, sur ce cahier d’école dont la page était composée de carrés d’un demi-centimètre de côté et dépourvue de marge bleue. À gauche, là où le maître notait, nous imaginons se superposer le recto et le verso de Matonge. Nos yeux sont captivés par la grille que nous avons posée. Ne vois-tu pas la convergence des espaces, des êtres et du temps s’intriquer ?
Te souviens-tu de cette citation, « le pouvoir est partout, ce n’est pas qu’il englobe tout, c’est qu’il vient de partout » ? Cela s’avère particulièrement juste à Matonge. Il n’est pas la marque d’une unité omniprésente, comme peut l’être la forme omnipotente d’un être dictatorial et imaginaire à qui les dévots de l’économie donne le nom d’homo-œconomicus, la caractéristique principale de cette créature de pouvoir est de désirer sans faim.
À Matonge, c’est essentiellement différent, ce pouvoir est sans cesse en mouvement, c’est à dire diffus, en cohérence avec l’espace et le temps dans une sublime confusion. Le devines-tu présent dans chaque relation sous une forme multiple et variable, sans cesse insaisissable ? Si, sous la torture, je devais le dénoncer, je dirais que cette forme se prénomme « culture », car je sais que, comme cela, je ne menace personne de vivant.
J’accorde peu d’importance à qui arrivera à désenchevêtrer les figures du bien et du mal, car la stratégie de cette forme vivante est complexe. Elle est au-delà d’un pouvoir structuré, elle danse comme si elle désirait sans fin.

 

L’ubiquité de ces espaces les empêche de se transformer l’un sans l’autre et pas plus qu’au dépend l’un de l’autre. Ils sont unis par un même temps, semblable à des formes quantiques, et en ceci, pourtant, différentes ̶ « Le visage dans le miroir du salon de coiffure de l’avenue Louise perd les cheveux que j’ai sur la tête à Kinshasa » ̶ L’un ne communique pas avec l’autre ̶ la vue est coupée et, cependant, entrelacée. ̶ Il semblerait que chaque moment soit composé de plusieurs temps ; d’au moins deux instants stroboscopiques, l’un lumineux semblable au flash, blanc, rapide, il fixe la surface de chaque chose dans une pose. L’autre diffuse une lumière noire ; elle donne à voir le flash par le négatif. Le noir s’approfondit, tandis que le blanc brille couvert d’un bleu incandescent. Chaque présent est composé de ces instants indissociables, à l’instar des pages d’un livre dont nous ne pourrions dissocier le recto du verso.
Cela ne se limite pas à la lumière. Par exemple, il ne s’agit pas de diffuser une musique d’ici vers là-bas. Non, pas de voyage de l’information numérique, mais le déplacement d’une onde sonne là-bas en tout point similaire à celle d’ici, scindant l’instant en unités discrètes. Le mot que je prononce dans la rue, l’interjection que je lance, touche une oreille ni proche ni lointaine. Dans cet espace entremêlé, la tête se retourne indifféremment. Il n’y a pas de proche ni de lointain autre qu’étroitement articulé dans une simultanéité atemporelle.

 

Mais, trêve de bavardages, soyons simple et joueur : de forme ronde, Matonge est une pièce de monnaie qui refuse de tomber d’un côté, face ou pile, lorsqu’elle est lancée. Si, malgré tout, vous vous obstinez à vouloir départager quelque situation que ce soit, la pièce, le lancer ou Matonge, dans ce cas, vous la verrez tomber côtés face, pile et tranche : elle sera suspendue, sans plus tomber ni monter. Elle sera absolument lisse, sur chaque face, y compris la tranche ; cette dernière tranche, par ses côtés lisses, des autres striées ou garnies de cannelures.
Dis-moi, lecteur érudit, les pièces de monnaie possèdent deux côtés, appelés pour l’un pile et l’autre face, mais comment se nomme la tranche ?

 

Aux abords de la porte de Namur vous trouverez également de nombreux studios d'enregistrement musicaux. C’est un des symposiums culturels de la musique congolaise, d'où ont émergé les groupes tels que « Viva La Musica », de Papa Wemba. Ce dernier a lancé plusieurs artistes musiciens comme Koffi Olomidé, King Kester Emeneya et bien d'autres ; qui, à ses premières heures de gloire, faisait ses spectacles à la « Place Vis-à-vis », à proximité du « Rond-point Louise Victoire » situé dans la commune de Kalamu, l'une des communes de Bruxelles-Capitale.

 

Je suis sans vergogne. La vie ne se décline pas en blanc ou noir, même pas en gris transitoires. À Matonge, elle semble composée de nuances de toutes les couleurs, surtout sous ce ciel gris où la lumière transite au ras de l’horizon et tombe au zénith.